mardi 20 janvier 2015

The Day He Arrives

Hong Sang-soo - 2001




Emmitouflé dans sa veste rembourrée, un sac à dos fixé aux épaules, Sungjoon déambule dans les méandres de ses souvenirs, le nez fixé vers les nuages qui s'en donnent à coeur joie. Du ciel blanchâtre dégringolent d'audacieux flocons de neige , et ces petits fragments de vie s'accrochent dans les cheveux, sur les manteaux, aux coins des yeux. Le réalisateur trimballe avec lui ses habitudes d'amoureux de l'objectif. La façon dont il gère les espaces, dont il observe les différentes femmes qu'il côtoie, donne l'impression qu'il n'a jamais vraiment quitté sa caméra : c'est lui qui donne le rythme à chaque fois, qui place les autres acteurs comme bon lui semble, disposant à sa guise des figurants. Guidé par une envie terrible d'extase, Sungjoon, en quelques jours seulement, perturbe le tranquille équilibre du quartier de Séoul dont il s'approprie l'âme , rattrapant au vol des bribes entières de sa mémoire. Le film, en apparence très posé, offre pourtant de grands instants de fougue, et toute la frénésie contenue des personnages éclate sans crier gare, dans une minuscule chambre triste ou au détour d'une rue déserte, symbolisée par un baiser teinté de solitude dont les amants semblent se repaitre comme si c'était leur dernier repas. 


Hong Sang-soo captive les esprits sans s'agiter. L'intérêt du film réside dans les détails, les discussions échangées au dessus de verres troubles, dans les lieux que l'on retrouve mainte fois. En fait, on se sent un peu chez nous, quand bien même le film ne dure qu'une heure et quart, c'est à se demander s'il n'est pas magicien. Sungjoon lui-même se retrouve pris au piège, la silhouette lacérée par les griffes du Temps, le regard troublé par sa prise de conscience : est-il, finalement, trop tard?








samedi 17 janvier 2015

My Son, My Son, what have Ye done?

Werner Herzog - 2009


Un titre tout en parole, les derniers mots de l'Être par qui est né le Monstre. A moins que ce murmure ne vienne d'en haut, comme l'insinue le troupeau de nuages amassés au dessus du fils. Obsédé par les oiseaux terrestres , mariés à la poussière pour l'éternité, Hanté par la grâce, l'enfant terrible annone des paroles incohérentes à la face de sa dulcinée , à la masse cette gamine, aveuglée. La maison flamants roses, coulisse d'un théâtre permanent, se retrouve, un beau matin de printemps, en état de siège. Tout le quartier est en alerte, Il a frappé dans la baraque des voisins, Herzog s’engouffre dans une gigantesque faille temporelle au goût folie et nous entraine dans les rapides, bien décidé à nous faire boire la tasse. L'aisance du réalisateur pour nous dépeindre des personnages improbables ne faiblit pas, bien au contraire. Taillés à même le vice, les voilà qui s’immiscent sur la scène de crime, vaguement interrogés par l'inspecteur au regard d'acier. Tous ont trempé dans la liqueur divine et trimballent , de plan en plan, les séquelles causées par un Michael Shannon en grande forme. Il a beau être seul contre le monde, sa silhouette est celle d'un prophète aux multiples confessions et son anatomie tout entière, de la pointe de son sabre au bout de ses cheveux bouclés , annoncent la prophétie : l'Histoire se répète, sorte de sphère couleur ballon de basket, et le flambeau doit être passé. Mais à quel prix?

mercredi 7 janvier 2015

Whiplash

Damien Chazelle - 2014



Les mains crispées sur ses baguettes, Andrew s'entraine derrière la bête, plein d'espoir. La caméra, posée plus loin, dans le corridor, observe. Puis se déplace, avalant goulument la distance qui la sépare du jeune musicien... Fletcher surgit alors dans l'espace musical du gamin, chamboulant son sobre quotidien à coups de baffes, d'invectives, de hurlements . Au fil des minutes qui s'égrainent sur fond de Jazz entêtant, le dominant prend peu à peu ses aises, gagnant du terrain, tandis que le batteur paye de son sang une place qu'il tente de conquérir, par tous les moyens.. Le film s'articule autour de paires, constamment en conflit, et l'objectif se plait à les provoquer, modulant l'espace à sa guise, bousculant les êtres à grand renfort de mouvements imprégnés d'audace. L'austérité des décors détone avec la frénésie contenue dans les cadres, invisible et palpable tourbillon d'émotions, oiseau rythmique dont les ailes semblent avoir essuyé d’innombrables tempêtes musicales, et qui jamais ne se pose.
Abandonnant les effets grossiers à l'extérieur du conservatoire, Damien Chazelle pénètre en ce lieu à l'haleine opaque et talentueuse, la silhouette couverte de déférence, l'objectif grand'ouvert , avide d'harmonie...
Les traits tendus du visage d'Andrew vibrent sous les coups de cravache, et sur ses joues dégoulinantes s'esquissent les traces écarlates d'un effort surhumain, d'une fièvre contagieuse : éventrant d'un coup de poing rageur la peau d'un tambour épuisé , le musicien transcende les codes pour ensuite s'engouffrer sur des portées délestées de toute contrainte, baignant son âme tout entière dans un magma de talent pur.
Au détour d'un contretemps , une Clef de Sol furibonde croise le fer avec deux baguettes malmenées par le prodige en transe qui, du plus profond de son être, remercie son bourreau.