mardi 24 février 2015

It Follows

David Robert Mitchell - 2015

Jolie gamine aux jambes crémeuses, pourquoi fuis-tu?
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Dos à l'océan, la silhouette, grignotée par les phares de sa bagnole, annone de tremblants adieux par téléphone. L'halène de la nuit crépite de milles parasites, invisibles insectes nichés aux quatre coins des plans et le silence, étouffant, d'un coup de langue la condamne.
Sur la croûte sans sommeil de la chair adolescente, s'attarde un objectif dont la placidité surprend ; la caméra sait se montrer discrète, permettant ainsi aux corps de s'exprimer comme bon leur semble, de se rouler en boule dans le coin d'une chambre ou de s'étaler , à l'aise, sur le capot d'une voiture. Le film s'impose par sa jeunesse, amorphe, soudée, fourbe mais fidèle; les liens de coeur/d'égo, sont mis en avant, et permettent au récit de se développer autour d'eux, ondulant entre les drames personnels et la violence d'une menace omniprésente, qui ne se gène pas pour transgresser les règles, étalant sa haine hors-limites, flinguant la raison à coups de griffes cannibales.
À l'heure du tout numérique, où les âmes adolescentes sont aspirées par les écrans de poche et où l'on tweet comme on respire, balancer un slasher nommé 'It Follows' sur les toiles est une putain de bonne idée. La baise comme transmetteur et l'Autre comme ennemi, voilà ton calvaire. Tes armes? La confiance aveugle de tes potes et le mouvement, se déplacer, avaler la distance tout en supportant la fatigue qui croît, inlassablement, étirant les chairs au maximum. David Robert Mitchell nous offre son cauchemar en pellicule de sang, la peau usée par les poursuites, suintante de chlore et d'espérance...

samedi 14 février 2015

Le château de Cagliostro

Hayao Miyazaki - 1979


En guise de prélude, Lupin et son comparse nous offrent un braquage survolté, à grands coups de volant , de bagnoles trafiquées et de billets à l'encre humide. Puis, tandis qu'il se noie sous un océan de bifton, le voleur gentleman a une idée: revenir à l'un de ses plus cuisants échecs : le Château de Cagliostro. Tuerie de générique jazzy aux couleurs mélancoliques, non sans rappeler le temps qui court, les bras chargés de nos jeunesses ; le dos calé sur le siège arrière, nous voilà partis à l'Aventure.

À la vue de la délicate princesse emprisonnée, le voleur se mue en Chevalier facétieux, guidé par des pulsions romanesques ; Miyazaki esquisse avec finesse l'amour naissant de ce couple improbable. De leurs regards, de leurs caresses, éclot un équilibre dévoué, de toute son âme à leur juste cause. 

Le rythme soutenu du film n'est jamais un frein au plaisir pur. Lupin s'agite certes beaucoup, mais chacune de ses oscillations finit toujours par trouver une finalité, qu'elle nous fasse rire ou nous étonne. Les personnages jouissent d'une liberté de mouvements hallucinante - le château du terrible Cagliostro devient le théâtre de tous les possibles: truffé de pièges, de passages secrets et protégé par une armée des Ombres fascinante, l'on passe d'une pièce à l'autre en un soupir, guidé par deux flux perpétuellement en mouvement : l'eau et l'amour. Le réalisateur, mécanicien du rythme, s'amuse à faire contraster les scènes de bastonnade générale avec les scènes plus intimes, où Lupin se retrouve face à un interlocuteur unique, que ce soit sa promise, son rival, son alter Ego de flic ou bien le chien, symbole de son échec passé, mais également de sa renaissance. On le découvre alors plus maladroit, plus attentif, tentant gauchement de cacher son dévouement par d'innombrables contorsions.
Tout le film repose sur cet équilibre fragile d'horloger, façonné de contrastes, et c'est sur les aiguilles de la grande Tour que le maître voleur dévoilera son âme, l'oeil pétillant, fixé sur l'horizon.

mardi 10 février 2015

Foxcatcher

Bennett Miller - 2015

Tassé sur son trône aux lignes massives , l'épervier toise la plèbe de son regard carnassier, la bouche entr'ouverte sur l'objectif, prêt à engloutir l'Amérique entière, des orteils à la poitrine .. Un jeune lutteur un peu groggy par les frappes parfaites de son frangin, fraichement débarqué en hélico , trimballe ses larges épaules inébranlables de pièce en pièce, imprégnant le parquet ciré d'une odeur doucereuse de sueur au goût grisaille . Collant ses mirettes au métal froid d'une paire de jumelles ambrées, le voilà qui découvre la biche d'or, l'intouchable maitresse des lieux , juchée sur l'échine de son cheval aux ailes tranchées - si l'on prête attentivement l'oreille, à l'aurore, lorsque l'on se promène aux côtés des geais moqueurs fraichement réveillés, on peut aisément déceler le piaffement des montures faméliques, qui foulent dignement la semence égrainée par les propriétaires des lieux depuis des siècles et des siècles.. Le squelette du renard aux mouvements apathiques hante les immenses pièces de la demeure, habitée depuis toujours par des effluves d'une folie milliardaire bâtie à coups de mitrailleuse, de solitude et d'un dédain princier pour tout ce qui touche au respect de l'homme, de son combat. Le museau plongé dans un tas de poudreuse, le mammifère sent qu'il est temps pour lui de fuir , de déguerpir le plus loin possible , mais pour d'autres il est trop tard, les serres avides de l'Oiseau Fou sont plantées au plus profond des chairs.
Foxcatcher , à la manière d'un animal en chasse, s'immisce lentement dans les esprits, sans se presser. Au fil des secondes qui s’égrainent et recouvrent l'immense propriété d'un pelage froid de neige immaculée, le prédateur déploie ses ailes au maximum, lacérant l'air de son bec, en un râle furieux . La lourdeur des plans entrave quelque peu nos mouvements, impossible de se replier ou même de souffler ; tête à côte irréel avec le diable, et, d'une prise au sol fatale, se crash le volatile.. inconscient, il expose son corps informe et disgracieux aux yeux de tous, espérant encore éblouir une nation depuis toujours désintéressée, et que peut faire une petite cervelle de moineau, face à cette infinie vague d'aliénation?
Il est difficile d'aimer Foxcatcher tant il est farouche et pesant.. Pourtant, une fois la chasse close, on se surprend à repenser à l'animal, et c'est d'un doigt tremblant que l'on caresse la détente...